L’évidence ne saurait cette fois être dissimulée derrière l’écran de fumée d’un cigare. Cela crève les yeux, la majorité en place a lourdement perdu. Après les municipales, les européennes et les sénatoriales, elle subit, avec les départementales, une quatrième et humiliante déroute électorale.
Avec les résultats des élections départementales, la France a ajouté un nouveau chapitre au roman de ces dernières années politiques, avec, n’en déplaise à certains commentateurs, un nouveau record du Front National. Pour la première fois dans un scrutin majoritaire, il obtient des élus dès le premier tour ; arrive en tête dans 43 Départements ; dans certains, supplante la gauche comme représentant des couches populaires, tandis que dans d’autres il déborde la droite sans difficultés.
On voudrait pourtant nous faire entendre, au lendemain de ces échéances, qu’il n’y a rien de grave, que la France s’est installée dans un simple tripartisme. La preuve, la droite parlementaire aurait atteint 37,10 %, le total des gauches 36,4 % et le Front National, « relégué à la troisième place », aurait fait un « petit 25,19″… Une fois de plus, la politique se montre incapable d’accepter les faits et d’affronter la situation de face.
La réalité sociologique ne se reconnaît pas dans cette photographie trafiquée, très éloignée du message des français qui, à plus de 60 %, ont tourné le dos à la politique conduite par l’actuel gouvernement.En quatre ans, l’ensemble des forces de gauche est passé de 49,6 % des suffrages exprimés à environ 36 %. Rien, de surcroît, ne lie plus cet ensemble disparate, dans lequel le PS n’est qu’un acteur parmi d’autres.
La consolidation du tripartisme, décrite avec gourmandise par « de nombreux spécialistes », est une construction éphémère, tant elle déforme à l’évidence la voix des électeurs. Ceux-ci ne veulent plus entendre parler de cette gauche qui a rompu avec le peuple et la nation, qui a passé par-dessus bord tous ses engagements, qui se choisit comme Ministre des finances les plus grands banquiers de la place, qui tourne le dos à la France d’en bas.Si le Président de la République et le Premier Ministre prenaient la peine d’écouter, ils percevraient aussitôt le rejet de leur propre politique dont ils ne veulent pas démordre… mais au contraire qu’ils souhaitent amplifier…
A ne pas y prendre garde, malgré tout cela, François Hollande peut encore espérer une réélection en 2017, en tirant profit d’une droite tant divisée et parfois autiste.Un gâchis politique se profile alors dans cet effondrement qui consiste à ne pas se tourner vers le vrai message des français : celui des zones rurales, qui se sentent abandonnées, où les services publics, censés représenter l’Etat, ferment les uns après les autres (en particulier nos écoles, figures régaliennes par excellence) ; celui de ceux qui attendent un retour de la nation, à ses sources, à ses frontières ; celui de ceux qui aspirent à davantage d’autorité, à une meilleure organisation de la solidarité, à une rationalisation de la dépense publique ; celui de ceux qui crient au ras-le-bol fiscal, qui sont durement touchés par l’explosion du chômage, par la baisse des salaires et du pouvoir d’achat…On sent la colère, mais on se bande les yeux !! Pourtant 6 électeurs sur 10 de Messieurs Hollande et Sarkozy se disent prêts à voter FN, faute d’être entendus. Vous y retrouvez des nantis comme des bénéficiaires du R.S.A., des gens de droite comme de gauche, des urbains comme des ruraux (et de plus en plus), des anciens comme des jeunes (et là encore de plus en plus)…
La ritournelle du « vivre ensemble » ne peut faire une croix sur un français sur quatre, voire même sur trois.
Bien entendu, l’humeur du pays, ce grand désespoir français dans lequel on patauge depuis longtemps, explique les scores extrémistes. Il s’agit, non pas simplement de souffrances, certes réelles, qui accompagnent la crise, mais aussi d’une complaisance à constater ces difficultés, à geindre et à en chercher les responsables pour les maudire. Comme l’impressionnisme est une peinture qui s’accomplit par l’addition de touches de couleur, le « dépressionnisme » consiste à jeter sur la toile de grands traits sombres pour noircir le tableau. Ainsi, les électeurs français expriment-ils désormais leurs sentiments politiques : la colère noire plutôt que la couleur.
Et, au temps « du dépressionnisme », le vote extrême tient salon !
Franck Duval.(article paru dans la presse locale de ce jour).